L'Ayurveda est intrinsèquement un système médical autant psychologique que physique. Son champ d'application comprend à la fois les maladies physiques (sharirika) et mentales (manasika). Par conséquent, nous ne pouvons pas vraiment comprendre l'Ayurveda sans examiner sa vision de l'esprit et de la conscience. Comme l'Ayurveda soutient que les maladies résultent davantage de nos propres jugements erronés, attitudes et mauvais usage des sens, ces facteurs psychologiques sont à la racine de la plupart des maladies.
L'Ayurveda traditionnel reconnaît
trois principales causes de maladie :
1/Les déséquilibres doshiques, soit par constitution, soit par des facteurs externes.
2/ Un excès de rajas et tamas dans l'esprit, et un manque de sattva.
3/ Des facteurs karmiques ou les résultats d'actions passées, y compris dans des vies antérieures.
Ces trois facteurs sont liés,
bien que l'un puisse être dominant. Les déséquilibres doshiques reposent
généralement sur un excès des gunas de rajas ou tamas, qui reflètent à leur
tour des disharmonies karmiques plus profondes.
Le traitement ayurvédique est
triple afin de contrer ces déséquilibres :
1/ Thérapie rationnelle pour contrer les doshas, comme l'application d'aliments appropriés, de plantes médicinales et de thérapies cliniques utilisant des énergies opposées aux disharmonies doshiques.
2/ Thérapie par le yoga et la thérapie sattvique pour contrer rajas et tamas, comme l'utilisation d'asanas, de pranayama, de mantras et de méditation.
3/ Méthodes spirituelles pour réduire le karma, comme l'utilisation de rituels, de mantras et de divinités.
Ces trois méthodes de traitement se chevauchent généralement, et des aspects de chacune peuvent être utilisés en fonction du même client ou de la même condition. L'esprit et les problèmes psychologiques/émotionnels sont présents à tous ces niveaux.
L'esprit et la maladie
Les doshas, lorsqu'ils s'accumulent sous forme de toxines, ont des composantes émotionnelles négatives : Vata est associé à la peur, Pitta à la colère et Kapha à l'attachement, comme tous les étudiants en Ayurveda le savent bien.
Le dosha Vata en particulier a de fortes implications psychologiques, car l'esprit fait partie du domaine de Vata et est principalement composé des mêmes éléments d'air et d'éther. Les problèmes liés à Vata incluent souvent des troubles psychologiques, tels que la peur, l'insécurité et l'anxiété. La gestion de Vata doit toujours inclure une approche psychologique importante.
La douleur, quelle qu'elle soit, déséquilibre d'abord Vata. Ainsi, la gestion de la douleur implique une forte composante de considérations anti-Vata. Le stress a également tendance à déséquilibrer en premier lieu Vata.
Une grande partie du soulagement du stress est donc axée sur une approche anti-Vata.
Cependant, les deux autres doshas ont également leurs propres composantes et considérations psychologiques clés. Chaque patient a une énergie psychologique et physique particulière qu'il faut comprendre pour élaborer un plan de traitement efficace.
Les trois gunas sont principalement des facteurs psychologiques : rajas représente les impulsions égocentriques et tamas des blocages émotionnels profonds, de l'insensibilité ou des dépendances. Ces caractéristiques rendent les doshas difficiles à gérer, car elles peuvent entraîner des attitudes qui résistent au traitement, même au niveau externe, comme celui de l'alimentation et des plantes médicinales.
Cependant, les doshas et les gunas doivent toujours être étudiés et traités ensemble. Par exemple, les déséquilibres doshiques profondément enracinés impliquent toujours une certaine mesure de tamas, souvent traduite par des traumatismes, des douleurs ou des faiblesses profondes.
Un bon praticien ayurvédique doit être capable de discriminer les différentes conditions de chaque dosha dans ses modes sattviques, rajasiques et tamasiques.
Cela constitue une bonne base pour aborder une psychologie ayurvédique.
Le karma négatif découle
principalement d'un jugement erroné (Prajnaparadha ou Buddhi dosha), qui inclut
une mauvaise utilisation des sens, du prana, des émotions et de l'esprit. Cela
reflète les effets de distorsions doshiques et guniques à long terme, qui se
logent dans la psyché.
Ce jugement erroné commence par rajas, impliquant un
facteur de volonté, mais il reflète également tamas avec le temps, indiquant
des tendances que la personne ne peut ni percevoir ni modifier.
L'Ayurveda ne consiste pas seulement à éliminer les doshas et à augmenter le sattva guna, mais aussi à éliminer les karmas négatifs et les schémas karmiques (samskaras) qui les soutiennent dans notre propre comportement. L'astrologie védique est un outil important pour comprendre ces karmas.
En considérant la pratique
ayurvédique, nous devons donc reconnaître la psychologie des doshas, des gunas
et des karmas.
Dans ce système, l'esprit joue le rôle principal, tandis que le
corps est simplement l'endroit où ces déséquilibres se logent, se manifestent
ou causent des maladies.
L'Ayurveda et le conseil Védique
L'Ayurveda, en particulier en
Occident aujourd'hui, est principalement un système de médecine basé sur le
conseil. Son rôle consiste à éduquer le patient sur la manière de modifier son
mode de vie pour prévenir les maladies et optimiser sa santé, ainsi que pour
traiter des maladies spécifiques.
Bien que cela puisse se concentrer
principalement sur des recommandations en matière de régime alimentaire,
d'herbes médicinales et d'exercice physique, cela nécessite une compréhension
de la psychologie.
La manière dont nous abordons une
personne de type Vata pour calmer son anxiété face aux changements suggérés
sera différente de celle utilisée pour une personne de type Kapha et sa
complaisance ou pour une personne de type Pitta avec des problèmes de colère
latente.
Leur psychologie influence grandement la façon dont les
recommandations sont formulées et leur efficacité, même si elles sont
appropriées au départ.
En Ayurveda, il ne suffit pas que les praticiens
établissent un diagnostic et un plan de traitement corrects, ils doivent
également posséder des compétences en conseil pour permettre aux patients de
mettre en œuvre ces recommandations efficacement.
L'échec d'un traitement
ayurvédique est généralement dû à l'incapacité du praticien à comprendre suffisamment
la psychologie du patient pour qu'il adhère à ses recommandations.
Souffrance physique et psychologique
La médecine moderne a été relativement efficace pour soulager de nombreuses maladies aiguës, mais la souffrance émotionnelle a augmenté en raison de divers facteurs de notre vie moderne en désaccord avec la nature.
Les troubles
mentaux-psychologiques comme la dépression sont presque devenus une épidémie
aujourd'hui. Même les enfants souffrent souvent de troubles tels que le déficit
de l'attention (ADD) ou l'hyperactivité. La médecine actuelle basée sur les
médicaments développe des médicaments conçus spécialement pour traiter ces
conditions, bien que ces puissants médicaments posent également problème en
raison de leurs nombreux effets secondaires.
L'Ayurveda peut offrir une bonne
alternative à ce traitement de l'esprit et de la psychologie principalement par
des médicaments.
Cette psychologie culturellement perturbée exige que les
praticiens ayurvédiques disposent des outils psychologiques nécessaires pour la
gérer.
En fait, tout patient fortement perturbé par le Vata est susceptible de recevoir une prescription de tels médicaments s'il consulte les médecins habituels aujourd'hui. Le problème est que ces médicaments peuvent seulement supprimer Vata, mais pas le corriger.
De nombreux patients qui
consultent des praticiens ayurvédiques aujourd'hui recherchent un soulagement
spirituel ou psychologique. Ils se tournent vers l'Ayurveda en tant que
médecine corps-esprit avec une base spirituelle.
Ils s'attendent à ce que le praticien
ayurvédique puisse traiter les problèmes émotionnels et spirituels, et pas
seulement les aspects physiques. Le rôle de l'Ayurveda en tant que psychologie
est donc très important aujourd'hui.
La psychologie ayurvédique et le yoga
Le yoga classique tel que décrit
dans les Yoga Sutras de Patanjali et dans la Bhagavad Gita est un moyen de
travailler sur l'esprit ou de calmer le chitta, ce qui constitue la base de la
suppression de la souffrance.
La thérapie psychologique de l'Ayurveda, visant à
augmenter le sattva, est principalement une thérapie basée sur le yoga. Le yoga
classique lui-même est essentiellement une psychologie.
Cela signifie que la
psychologie ayurvédique doit utiliser les outils et les concepts du yoga.
Certains enseignants de yoga ont
tenté de traiter l'application psychologique du yoga et de créer un nouveau
modèle psychologique de yoga. Cependant, ils le font généralement en dehors de
l'Ayurveda et parfois en dehors de la grande tradition yogique.
Ce travail peut
avoir une certaine valeur mais serait plus utile s'il était intégré dans une
approche ayurvédique plus large.
La psychologie du yoga nécessite également la
psychologie ayurvédique, et aucune des deux n'est susceptible de prospérer ou
de se développer correctement sans l'autre.
Les niveaux de l'esprit
L'Ayurveda utilise généralement
le modèle Samkhya-Vedanta de l'esprit, qui est divisé en quatre instruments
internes (antahkarana chatushtya) :
Chitta : conscience conditionnée et champ mental en arrière-plan
Buddhi : jugement intelligent, discernement, valeurs
Manas : esprit, capacité d'imagination, coordination sensorielle
Ahamkara : ego, identité personnelle
Ces termes sanskrits n'ont pas d'équivalents exacts en anglais et présentent des variations dans leur usage.
Dans la terminologie du yoga,
chitta est souvent un terme général pour désigner l'esprit dans son ensemble,
tandis que manas désigne l'esprit sensoriel.
Dans la terminologie védantique,
manas assume plus communément le rôle d'esprit global, et chitta correspond
plutôt à une banque de mémoire.
En général, le chitta représente
le champ général des perturbations mentales (vrittis ou kleshas en yoga) qu'il
est nécessaire d'apaiser ou d'éliminer.
Buddhi est l'intelligence discriminante
supérieure que nous devons développer pour éliminer ces perturbations et
atteindre une tranquillité d'esprit.
Manas correspond à l'activité mentale et
sensorielle extérieure qui maintient ces perturbations en mouvement et doit
être contrôlée.
Ahamkara est le facteur de l'ego ou de la volonté personnelle
qui maintient ce processus en place.
Cela signifie que calmer le
chitta, développer le buddhi, contrôler le manas et réduire l'ahamkara sont des
éléments essentiels de toute approche ayurvédique de l'esprit.
L'esprit et le prana
L'Ayurveda et le yoga considèrent
l'esprit et le prana comme les deux ailes d'un oiseau. L'esprit est le pouvoir
de la connaissance (jnana-shakti), et le prana est le pouvoir de l'action
(prana-shakti).
L'esprit est un niveau de conscience plus profond que les
pranas extérieurs opérant dans les organes sensoriels et moteurs. Cependant, le
prana originel est un niveau de conscience encore plus profond que l'esprit
pensant.
C'est dans ce prana plus profond que nous retournons pendant le
sommeil profond pour régénérer à la fois le corps et l'esprit.
On ne peut pas traiter l'esprit
sans traiter le prana, ce qui nécessite des pratiques yogiques comme le
pranayama et le pratyahara.
Et on ne peut pas traiter le prana sans prendre en
compte les doshas de Vata, Pitta et Kapha, qui sont principalement des doshas
praniques ou des déséquilibres praniques. Cela implique d'ajuster le régime
alimentaire, d'ajouter des plantes médicinales utiles et d'utiliser d'autres
méthodes de massage et de purification ayurvédiques comme le Pancha Karma.
Le mantra est l'outil principal
pour la guérison de l'esprit, bien qu'il ait également un fort impact sur le
prana.
L'utilisation conjointe de mantra et de pranayama est une bonne méthode
pour atteindre cet objectif. Le mantra est l'outil psychologique ultime qui
agit à un niveau subconscient et nous élève vers une conscience supérieure
grâce à sa capacité à unifier le champ mental.
L'esprit et le Soi
L'Ayurveda suit une vision
Samkhya-Védantique où l'esprit n'est qu'un instrument de la conscience, le vrai
Soi, Atman ou Purusha. Cela signifie que l'esprit n'est pas conscient mais
qu'il s'agit d'un mécanisme de conditionnement karmique.
Cette perspective
diffère de celle de nombreuses autres écoles de pensée, où l'esprit et la
conscience sont souvent considérés comme identiques.
En traitant l'esprit, nous
devons nous rappeler cette vision védique selon laquelle notre véritable être
et conscience transcendent à la fois le corps et l'esprit.
Le but du yoga et de
l'Ayurveda n'est pas seulement l'harmonie mentale, mais aussi de conduire
l'esprit à une condition paisible afin que la lumière du Soi supérieur puisse
traverser l'esprit.
Conclusion
Un renouveau de la psychologie ayurvédique est une considération essentielle, voire une tendance majeure, pour le nouvel Ayurveda global.
Que ce soit par l'application de régimes alimentaires, d'herbes médicinales, de massages, du Pancha Karma, de changements de style de vie, de mantras ou de méditation, la composante psychologique de l'Ayurveda est toujours importante et doit être pleinement comprise par l'étudiant sérieux. La psychologie ayurvédique peut également constituer un bon domaine de spécialisation.
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David Frawley, traduction Florent Fusier